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Bear ou « orso » ? Traduire la culture de l’ours gay en italien

    Le terme Bear à été importé des Etats-Unis dans divers pays du monde et notamment d’Europe en venant combler un manque dans la sous-culture gay : les Bears.

    Découvrez comment ce terme « Bear » est parvenu jusqu’en Italie, son histoire et son usage au sein de la communauté des Ours Gays Italiens. Tu seras prêt à discuter via bearwww.com à discuter avec nos amis Ours italiens 🙂

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    1. Des ours gays des États-Unis à l’Italie

    Le phénomène de l’ours gay est né en Californie en 1966, lorsqu’un groupe d’hommes gays a commencé à se réunir au Satyr, un établissement de Los Angeles.

    Cependant, ce n’est qu’entre 1986 et 1987, avec la publication à San Francisco d’un magazine underground local appelé BEAR, que ce terme est devenu un terme connu, capable de définir un certain type d’homme gay. 

    Il n’est pas facile de décrire ce qu’est un ours et le débat entre les traits physiques et les traits d’attitude est encore loin d’être résolu.

    Les personnes qui se définissent par ce personnage totémique ont généralement un corps large ou rauque, une pilosité abondante, un appétit épicurien et sont heureuses de leur propre masculinité, comme le décrivent bien certains travaux fondamentaux sur le sujet réalisés par des chercheurs tels que Wright (1997 ; 2001).

    Selon Wright (1997 : 7), « nous n’avons pas affaire à une association bien organisée, dont seuls les membres ont une carte de membre, ou nous ne pouvons même pas l’appeler un « mouvement » puisqu’il n’y a pas de programme convenu ou articulé pour le changement social. Il s’agit de l’avènement d’un esprit omniprésent qui est souvent davantage une expérience personnelle partagée ».

    Ce nouveau phénomène déconstruit les normes de beauté ou, en général, l’image gay dominante imposée par les médias (jeune, peau lisse, musclé), qui tente de contrôler et d’étiqueter l’identité gay comme féminisée et (ou) faible, et recrée une nouvelle façon d' »être gay » : une nouvelle façon, comme l’affirme Wright (1997 : 6), qui soutient le « code de la personnalité », et qui est le résultat d’un mouvement « de la mimesis (agir soi-même) à l’authenticité (être soi-même) ».

    Orso Gay Pride (Orsi) - Milan 2003
    Orso Gay Pride (Ours – Orsi) – Milan 2003 – Italie

    Le mouvement ours (Orso ce dit Orsi au pluriel en Italien) , initialement confiné aux côtes Ouest et Est, a rapidement trouvé grâce auprès des homosexuels partout aux États-Unis.

    Le nombre de groupes et de clubs d’ours, de magazines, de magasins et de sociétés de vente par correspondance consacrés à l’ours n’a cessé de croître, de façon presque exponentielle, depuis les années 80.

    Mais la véritable explosion de ce phénomène s’est produite à la fin des années 80 et au cours de la décennie suivante.

    Les années 90 ont été marquées par l’internet.

    Les lignes de communication sont nombreuses et diverses et ont évolué au fil du temps : des lignes de discussion en direct aux babillards électroniques et aux réseaux sociaux.

    Le cyberespace est un lieu virtuel où les gens peuvent entretenir et établir des contacts de manière anonyme, en échangeant des images visuelles ou en indiquant simplement leur icône sexuelle préférée.

    Il s’agit généralement de sites web d’auto-publicité basés sur l’apparence d’une personne sans révéler son nom ou sa localisation, allant des rencontres sexuelles aux amitiés personnelles et aux partenaires de vie.

    Le premier salon de discussion dédié aux ours gays s’appelait Bearcave, et le cyberespace de loin le plus populaire est la Bears Mailing List (BML) fondée en 1988 par Steve Dyer et Brian Gollum (Wright 1997 : 33).

    L’internet a également contribué à la propagation du phénomène de l’ours gay outre-Atlantique, en Europe. Utilisant l’anglais comme lingua franca, les sites de rencontre gay américains ont d’abord été absorbés par le Royaume-Uni et l’Irlande, puis par d’autres pays non anglophones, dont l’Italie.

    En 1992, après la publication d’un magazine local intitulé Orsitaliani (Ours italiens), des personnes qui se sont autoproclamées « ours » ont organisé la première fête italienne de l’ours dans un club milanais appelé Querelle.  

    Depuis lors, le nombre de clubs, d’événements et de sites Internet consacrés à l’ours a considérablement augmenté du nord au sud du pays. En 1994, le premier magazine italien consacré à l’ours a été mis en ligne sous le nom de http://www.orsiitaliani.com/, avec une liste de divers liens spécialisés comprenant des annonces personnelles, des galeries, des histoires courtes, des rendez-vous et du tourisme.

    L’objectif du magazine était d’introduire le phénomène de l’ours gay dans la sphère italienne, comme indiqué sur la page d’accueil du site web : Non abbiamo quindi inventato niente : abbiamo semplicemente importato in Italia un’esperienza, una realta’ aggregata che all’interno della comunita’ omosessuale esiste da parecchi decenni in tutto ii mondo » (nous n’avons rien inventé : nous avons simplement importé une expérience, une réalité consolidée dans le monde entier au sein de la communauté gay depuis des années).

    2 – Diasporas queer, mondialisation et traduction

    La diffusion du phénomène des ours dans le monde entier et plus particulièrement en Italie (à partir de la revue Orsitaliani et ensuite principalement par le biais d’Internet), a entraîné la traduction de termes et de concepts liés aux ours gays de l’anglais américain ou britannique vers l’italien.

    Avec le web, la traduction a joué et joue encore un rôle majeur dans la formation d’une communauté gay bear en Italie.

    Mr bear Naples 2018
    Mr bear Naples 2018 – Italie – Fb : https://www.facebook.com/OFFICIALPAGEMRBEARITALIA/

    Cet article traite donc de la migration des concepts queer et donc aussi de la traduction, comprise comme une forme de migration textuelle. La traduction signifie  » transférer « ,  » déplacer « .

    Elle est traditionnellement comprise comme une pratique qui consiste à prendre quelque chose d’un endroit et à le déplacer vers un autre, comme un voyage qui  » commence en lui-même et, après une grande trajectoire elliptique, revient à lui-même muté, nouveau et prêt à recommencer  » (Verdicchio 1997 : 111).

    En ce sens, la traduction est liée aux études sur la migration, qui traitent de phénomènes tels que le déplacement et la réinstallation, comme le confirme Cronin (2006 : 45) : « la condition du migrant est la condition de l’être traduit […]. La traduction a lieu à la fois dans le sens physique du mouvement ou du déplacement et dans le sens symbolique du passage d’une façon de parler, d’écrire et d’interpréter le monde à une autre ».

    La migration apparaît comme un terme important non seulement dans les discussions sur la traduction mais aussi sur la sexualité.

    Eithne Luibheid (2008 : 169) affirme que la recherche sur la sexualité a commencé à explorer la manière dont l’ère de la migration est impliquée de manière centrale dans la construction, la régulation et le remaniement des identités, communautés, politiques et cultures sexuelles.

    Cindy Patton et Benigno Sanchez, dans leur ouvrage intitulé Queer diasporas (2000), considèrent le queer comme un mode de sexualité péripatéticienne, dans lequel le sujet queer devient un corps doublement mobile et transgressif, qui remet en question non seulement le répertoire des catégories de désir localisées, mais aussi la stabilité de l’identité nationale elle-même.

    Comme le dit Wesling (2008 : 33), « le corps diasporique queer est doublement désarticulé de la stase de la normativité sexuelle et nationale ». Le sujet queer est donc un sujet mobile, d’abord parce que les homosexuels ont souvent voyagé pour échapper à l’intolérance (Morgan, Pritchard et Sedgley 1998) et ensuite parce qu' »une grande partie de la recherche d’une identité homosexuelle implique nécessairement des voyages » (Hughes 1997 : 5), souvent de nature psychologique.

    La migration est donc un mouvement à travers les frontières nationales et culturelles, tout comme l’homosexualité est un mouvement à travers les frontières imposées.

    Si la diaspora/migration queer explore les multiples conjonctions entre queer et migration, une réflexion sur la traduction queer, telle que l’entreprend cet article, devrait explorer celles entre queer et traduction, en mettant l’accent sur la traduction et la migration de concepts plus rares que les seuls corps.

    Quelques travaux ont été publiés jusqu’à présent sur le thème de la traduction queer (voir par exemple le travail de Keith Harvey (2003) sur la traduction en français de America camp talk) et cet article devrait donc constituer une contribution importante au domaine.

    Ici, nous n’explorerons pas seulement les liens entre queer et traduction, mais aussi ceux entre la traduction queer et la mondialisation, car le sujet queer, en étant un migrant qui trouble la stabilité géographique et nationale, est aussi le sujet exemplaire de la mondialisation (Cruz-Malave et Manalansan I 2002 : 2)

    Le fait que les sites web de gay bear aient favorisé la circulation mondiale des images et des idées de gay bear en est une bonne illustration.

    Cependant, la mondialisation est également impliquée dans une marchandisation Queer (Westing 2008 : 33). Il est donc important de noter que dans cet article, nous ne considérerons pas seulement les migrations/translations d’ours gays comme des modes d’existence transgressifs ou libérateurs, mais nous les discuterons également dans leur dialogue avec des positions normatives et des formes d’enracinement et de fabrication du foyer (Brah 1996 ; Fortie 2001 ; Gopinath 2005 ; Wesling 2008 : 35).

    3- Les ours gays dans le cyberespace : « orso », ours ou quoi ?

    L’objectif de cet article est donc d’étudier comment et dans quelle mesure le phénomène de l’ours gay a voyagé dans la culture italienne (principalement à travers le web), ou, en d’autres termes,

    a} Comment les termes « ours gay » sont-ils traduits en italien ?

    b) Comment les termes « gay bear » sont-ils perçus par les utilisateurs italiens de l’internet gay bear ?

    Pour répondre à ces questions, nous avons interrogé un certain nombre de sites Internet internationaux dont la langue est l’américain/anglais (dont certains ont été traduits ou partiellement traduits dans différentes langues, dont l’italien) et quelques autres en italien.

    Nous avons ensuite extrait une liste des termes relatifs à l’identité les plus utilisés et proposé un questionnaire à un groupe de trente hommes internautes italiens. qui se rapportent à la culture de l’ours gay, en leur demandant à la fois d’indiquer leurs sites web préférés (soit en américain/anglais, soit en italien), et de s’identifier ou d’identifier leur partenaire idéal en utilisant un ou plusieurs des termes de la liste proposée.

    Orsi italiani Bear pride Europride - Rome 2011 - Italie
    Orsi italiani Bear pride Europride – Rome 2011 – Italie

    Grâce à l’enquête sur les sites Web et aux questionnaires, nous espérions comprendre comment la culture gay bear a été traduite en italien et comment les hommes gay bear italiens construisent leur identité ir par le biais des sites de rencontre.

    Les sites web analysés, dont la langue principale était l’anglais, étaient bearwww, bearworld, eurowoof, bearlounge et bear247. Bearwww est l’un des sites multilingues les plus utilisés en Europe dans le domaine des ours et des rencontres. Grâce à une page dédiée, où figure une liste de termes, brièvement expliqués et traduits pour chaque langue, les nouveaux utilisateurs peuvent créer un profil auto-publicitaire en ajoutant des photos, en se décrivant et en décrivant l’objet de leur désir.

    Dans la section en langue italienne de ce site, nous avons trouvé un groupe de termes qui ont été soit traduits en italien (la traduction apparaissant entre parenthèses), soit accompagnés d’une explication en italien (ou les deux). La liste est la suivante : ours, traduit par « orso », décrit comme un homme poilu, plus ou moins grand ; ourson, traduit par « cucciolo », décrit comme un jeune homme, poilu ou grand ; joufflu, décrit comme un homme grand avec peu ou pas de poils ; papa, traduit par « papa/uomo maturo » (homme mûr), décrit comme un homme mûr ; ours polaire, décrit comme une personne aux cheveux gris ; chaser, traduit par « predatore » (prédateur) et décrit comme quelqu’un qui aime les ours, les oursons, les papas ou les gros ; musclebear, qui n’a pas été traduit en italien et décrit comme quelqu’un qui doit être musclé ; pair, traduit par « co ppia » (couple) et admirer, traduit par « ammiratore » et décrit comme quelqu’un qui aime les hommes poilus et qui peut être grand ou mince. 7

    Pour les autres sites web analysés, nous avons trouvé ce qui suit :

    • bearworld n’ajoute pas d’explication aux termes liés aux typologies des ours gays et traduit en italien uniquement bear et cub (respectivement comme « orso » et « cucciolo ») ;
    • eurowoof copie presque entièrement bearwww ;
    • bearlounge traduit en italien les termes suivants (qui apparaissent dans la section italienne sans équivalent anglais) : « orso » (ours), « cucciolo » (ourson), « ammiratore » (admirateur), « cacciatore » (poursuivant), « grasso » (gros), « maturo » (mature) et « orso muscoloso » (ours musclé) ;
    • bear247 donne la traduction italienne (qui apparaît entre parenthèses à côté du mot anglais) des termes suivants : ours (orso), admirateur (ammiratore), ourson (cucciolo), joufflu (orsone), ours en cuir (orso pelle), ours panda (orso panda), ours polaire (orso polare), poursuivant (cacciatore), papa ours (papa orso), loutre (lontra) et loup (lupo).

    Nous nous sommes ensuite concentrés sur les sites d’ours gays italiens tels que orsiitaliani, portorso et orsi in Sicilia. Orsiitaliani, le premier site italien consacré aux ours gays (comme expliqué dans l’introduction), ne contient pas de section avec des termes relatifs aux ours gays, contrairement à portorso, qui propose un glossaire des termes relatifs aux ours gays et présente une liste de liens vers des ours gays. Dans portorso, nous avons constaté que la terminologie relative aux ours gays n’est pas traduite de l’anglais (à l’exception de termes comme « gazzella », « secca », « lontra » et « papa orso « ) mais expliqués en italien.

    Les descriptions italiennes de ces marqueurs identitaires suivent celles des sites internationaux précédemment analysés. Toutefois, de nouveaux termes sont introduits et expliqués ici : gainer, un terme lié à l’isme du fétichisme de la graisse ; grizzly, un ours très gros et également vieillissant ; les personnes poilues avec une pilosité faciale ou corporelle massive ; husky, synonyme d’ours ;  cuir, culture érotisant les vêtements en cuir et souvent associée aux cultures BDSM et kink.

     En ce qui concerne les termes traduits en italien,  » lo ntra  » est la traduction italienne de loutre ; il apparaît également dans orsi in Sicilia (un site web très similaire à orsi italiani) et désigne une personne très mince et poilue. Ce terme est parfois utilisé à la place de Chaser ou d’admirateur ou même de loup, tandis que « gazzella » (littéralement, gazelle), également appelé « secca » (littéralement, personne minuscule et mince), désigne une personne très mince et glabre.

    Dans les sites web analysés, nous constatons la présence de termes codés (tant dans les sections italiennes des sites web internationaux que dans les sites web italiens) :  L’anglais et l’italien apparaissent souvent l’un à côté de l’autre. Les stratégies de traduction utilisées pour aider les internautes sont donc soit la traduction littérale du terme anglais en italien, qui apparaît seule ou à la suite des termes anglais dans ce que Vizcaino appelle un couplet de traduction (2005), soit la traduction non littérale ou la paraphrase en italien à la suite des termes anglais {Rudin 1996 : 141 ; voir aussi Sandia 1996 : 141-142 ).

    Nous avons extrait tous les termes, tant anglais qu’italiens, des sites web analysés et les avons mélangés dans un ordre aléatoire dans le questionnaire que nous avons proposé à nos participants.

    Avec la première question du questionnaire, nous voulions voir quelle langue était la plus utilisée par les participants dans leur auto-description.

    Les termes les plus utilisés sont bear (21 participants sur 30), orso (16 participants sur 30), cub, admirer et ammiratore (5 participants sur 30) et cucciolo (4 participants sur 30).

    Certains ont choisi à la fois l’anglais et son équivalent italien pour bear/’orso’ (14 participants sur 30). , cub/ »cucciolo » (3 sur 10), admirer/ »ammiratore » (5 sur 30).

    Les termes les plus inconnus étaient « lontra », gainer et « gazzella » (4 participants sur 3 ne connaissaient pas le terme ; tous les autres l’ont ignoré), hairy (3 participants sur 30 ne connaissaient pas le terme ;

    les autres l’ont ignoré) et leather (2 participants sur 3 ne connaissaient pas le terme et tous les autres l’ont ignoré).

    Enfin les autres termes ont montré des chiffres non pertinents.

    Avec la deuxième question, nous voulions voir si le participant préférait les sites italiens ou internationaux et si son choix était déterminé par sa connaissance de l’anglais ou non.

    Pour dix-huit personnes, la langue du site n’avait pas d’importance : huit personnes préféraient les sites internationaux car, selon elles, ils sont plus conviviaux et contiennent des images de meilleure qualité. Seules trois personnes ont préféré les sites d’ours gays italiens. La connaissance de la langue anglaise ne semble pas jouer un  rôle important dans ce choix : la plupart des participants ont déclaré avoir un bon niveau d’anglais écrit.

    Avec la troisième question, nous voulions savoir si les répondants trouvaient les sites internationaux d’ours meilleurs que les sites italiens. Vingt-quatre participants sur trente ont répondu que les sites internationaux sont bien meilleurs que les sites italiens, mais ils n’en ont pas expliqué les raisons.

    Trois personnes pensent qu’ils sont identiques, un ne sait pas comment répondre et une seule personne pense que les sites italiens sont meilleurs.

    L’un des répondants qui a répondu que les sites Internet étaient tous les mêmes a déclaré l’importance de l’aspect visuel de ceux-ci : « siti sono tutti uguali, l’importante sono le foto che metti » (les sites Internet sont tous les mêmes, les photos que vous postez sont la chose importante).

    Cela pourrait s’expliquer par la marchandisation de l’identité gay dans le cyberespace et par une vision consumériste générale induite par la mondialisation (Wesling 2008).

    Les réponses à ces trois questions montrent également que le phénomène de l’ours gay n’a pas été entièrement absorbé par l’audience italienne de l’ours gay.

    Seuls des termes tels que bear, admirer et cub semblent être des termes acceptés et reconnus, qui sont également les plus traduits en italien dans les sites web étudiés. D’autres termes comme husky et grizzly, qui sont plus américains, ne sont pas traduits en italien.

    spécifiques à la culture17 , sont presque inconnus. Le terme cuir a été complètement ignoré comme choix d’autodéfinition, probablement parce qu’il est lié à l’idée de douleur typique des cultures gravitant autour des pratiques sexuelles du SM, qui ne sont pas très populaires parmi les ours gays en Italie. 1 8

    En outre, la réponse à la première question proposée dans le questionnaire montre la grande confusion et l’interchangeabilité des options linguistiques disponibles pour l’auto-définition, en particulier dans l’utilisation simultanée de bear et de « orso ».

    Plutôt que de s’expliquer par le degré de connaissance de l’anglais des répindants, une explication plus précise pourrait résider dans le fait que  » bear  » n’est pas la traduction exacte de  » orso  » mais plutôt un terme emprunté à la mode, c’est-à-dire un terme qui est entré dans le lexique italien (Myers-Scotton 1993 : 192 ; Callahan 2005 : 6-10)20 et qui lie la communauté gay italienne des ours à ses prestigieux cousins américains.

    Dans la quatrième question, nous avons demandé aux participants de nous dire quel type d’homme les attirait et de citer au moins trois caractéristiques qu’ils recherchaient chez leur partenaire idéal.

    Un répondant n’a pas répondu, seuls six participants ont utilisé des définitions anglaises parmi celles fournies dans le questionnaire, tandis que tous les autres (23 sur 30) ont utilisé des adjectifs ou des termes italiens pour décrire l’objet de leur désir. Pour les caractéristiques positives, ils ont utilisé les adjectifs, les noms et les phrases suivants : « maschile » (masculin), « peloso » (poilu), « deve avere un be ! viso, belle manone » (il doit avoir un beau visage, de belles grosses mains), « deve essere robusto e villoso » (il doit être robuste et poilu), « torello » (taureau) et « bella stazza » (grande taille).

    D’autres participants ont utilisé des adjectifs liés à l’attitude : allegro », « gio viale » et « sim patico » (heureux, jovial et sympathique). En ce qui concerne les caractéristiques négatives, la plupart des répondants n’ont pas répondu, tandis que d’autres ont utilisé le substantif « duchessa » (duchesse), »gazella » (gazelle), 22 et l’adjectif « effeminato » (efféminé). Un répondant en particulier a déclaré : « Je ne comprends pas les gays féminins. Ce sont des personnes comme elles qui donnent aux hétéros la permission de nous dénigrer. Je déteste quand je les vois dans nos événements ».

    Ce commentaire peut s’expliquer par la peur des stéréotypes que l’on attribue généralement aux homosexuels efféminés en Italie. La plupart des événements organisés par les ours gays en Italie, qui sont réservés aux membres titulaires d’une carte (« Tessera Arcigay »), sont entachés d’affrontements verbaux entre les ours gays et d’autres hommes gays efféminés.

    Parmi les habitués des clubs gay, on trouve également des hommes mariés qui, hétérosexuels aux yeux du public parce que non efféminés et donc « invisibles », espèrent trouver un endroit plus sûr où ils pourront s’exprimer et exprimer leurs véritables attitudes sexuelles qu’ils ne peuvent pas exprimer dans d’autres espaces publics.  

    Cela montre comment le sentiment d’isolement, d’invisibilité et de silence qui est souvent le résultat de l’homophobie (qui a encore un impact extrêmement négatif sur de nombreuses personnes en Italie, comme le montre également la réticence de nombreux homosexuels à s’exprimer dans les lieux publics) peut être atténué.

    Avec la cinquième (et dernière) question, nous voulions savoir quel métier le partenaire idéal des participants devrait avoir. La plupart des personnes ont choisi des professions telles que « poliziotto » (policier), « pompiere » (pompier), pour l’aspect rassurant que ces personnes donnent, et pour le fait qu’elles sont considérées comme des professions « masculines ». D’autres ont opté pour des professions telles que « camionista » (conducteur de camion), « idraulico » (plombier), « muratore » (maçon) et « tecnico de ! contatore » (compteur de gaz) parce qu’elles sont considérées comme des professions masculines pour des hommes rudes. D’autres ont choisi une profession comme « operaio » (ouvrier) parce qu’elle est associée à la simplicité. Ces résultats sont parfaitement conformes à l’idée d’ours qui ne « correspondent pas à l’image stéréotypée de l’homme gay urbain et qui, par conséquent, projettent une image de classe ouvrière […] loin de l’image féminisée attribuée à l’homosexuel » (Gustavo, Sole et Carab1 2009 : 1).

    Ainsi, les utilisateurs italiens des sites de rencontres dédiés à la communauté Bear, pour décrire l’objet du désir, ont principalement utilisé leur langue maternelle qui, selon des linguistes comme Gumperz (1982), est la langue des émotions. De plus, ils utilisent tous des adjectifs et des termes décrivant les caractéristiques d’hommes machos ressemblant à ceux que l’on retrouve dans un  » filone  » (genre)  particulier du cinéma italien :  » La commedia all’italiana  » (la comédie sexy italienne). On y trouve des hommes souvent excités sexuellement et qui exercent des métiers manuels qui nécessitent une certaine force physique.

    Ce genre cinématographique s’est développé à la fin des années 60 et dans les années 70 en réaction à la tradition cinématographique italienne antérieure, liée à la censure fasciste. Ces films n’étaient jamais pornographiques mais jouaient sur des situations sexy-comiques.

    Les intrigues étaient toujours les mêmes : elles tournaient autour de super machos en puissance qui tentaient d’avoir des relations sexuelles avec de belles jeunes filles découvrant leur sexualité ou avec des femmes déjà matures sexuellement et frustrées par des maris ennuyeux ou absents.

    Les personnages masculins sont toujours explicites dans leur approche sexuelle ou dans l’affichage de leur masculinité, qui débouche toujours sur le chauvinisme. Ils ont généralement un corps lourd et poilu et même s’ils essaient de conquérir les femmes (ils se déguisent en plombiers ou en compteurs de gaz, les  actes sexuels ne sont jamais consommés en raison de problèmes comiques.  Ces hommes, généralement des émigrés du sud de l’Italie, sont toujours associés à des mots appartenant à la sphère de l’animalité pour souligner leurs performances sexuelles:  » toro  » (taureau),  » torello  » (bœuf),  » merlo  » (oiseau noir).

    Orsiitaliani propose une page spéciale contenant des histoires à caractère sexuel qui font allusion à ces intrigues. Dans certaines histoires, le personnage/narrateur à la première personne, un homme qui s’identifie comme gay, joue le rôle de l’esclave sexuel.

    Les autres, généralement des chauffeurs routiers ou des ouvriers corpulents, jouent un rôle actif en faisant écho à l’homme hétérosexuel pendant la rencontre sexuelle. Dans ces cas, l’ours passif joue donc le rôle que la femme avait dans le « commed ia » italien. Dans d’autres exemples, notamment ceux entre partenaires ayant de grandes différences d’âge (relation père/fils), ou les personnages impliquant des policiers ou des pompiers, l’accent est mis sur les câlins comme acte sexuel inné ultime, ce qui se reflète également dans les réponses des participants à notre questionnaire qui aiment le sentiment de protection que leur transmettent les pompiers et les policiers.

    Bien que la nurturance ne soit pas saillante dans le discours sur les ours gays, car elle se heurte au rejet de tout ce qui est féminin dans la culture des ours gays, elle semble plus marquée dans les présentations publiques rhétoriques et iconographiques des ours comme des ours en peluche (Wright 2001 : 340). Cette image de nurturance est donc ce qui différencie les ours gays en général, et les ours italiens en particulier, des hommes hétérosexuels de la Commedia all’italiana : c’est ce qui les rend pédés.

    4. Conclusions

    Cet article a tenté de comprendre le rôle de la traduction dans la diffusion de la culture gay bear en Italie.

    Grâce à une enquête sur des sites web internationaux et italiens et à un questionnaire soumis à un groupe de trente ours gays italiens, nous avons constaté que, malgré la préférence des répondants pour les sites web internationaux dont la langue est l’anglais américain ou britannique, seuls quelques termes anglais ont été importés en italien, des termes tels que bear, admirer et cub qui sont souvent intervertis avec leurs traductions italiennes respectives (« orso », « ammiratorc » et « cucciolo »). Les personnes interrogées ont montré qu’elles connaissaient peu ou pas du tout d’autres langues et

    termes anglais d’identification des ours. Ils ont fait preuve de confusion quant à la signification de certains de ces termes et ont largement utilisé l’italien pour décrire l’objet de leur désir.

    La présence de mots empruntés à l’anglais, accompagnés de leur explication en italien, et d’autres termes partiellement traduits ou mal traduits, ou même de termes italiens dans des sites web italiens déjà adaptés de sites internationaux, est le signe de l’hybridité et, en un sens, de l’altérité du voyage linguistique et culturel des ours gays italiens entre deux mondes (une scène internationale par opposition à une scène italienne), un voyage/traduction qui mélange constamment les textes source et cible.

    Il montre que le phénomène des ours gays est encore un nouveau-né en Italie et que les ours gays sont en train de construire leur identité de groupe à travers un voyage constant fait d’emprunts, d’échanges de codes, de traductions et de paraphrases de l’étranger, mais en même temps d’invention et d’adaptation de cet étranger dans le local.

    Ce qui est emprunté à l’étranger et importé en italien, ce sont divers concepts parmi lesquels il est intéressant de noter l’idée de nurturance, exprimée par le terme « cucciolo », et soulignée également dans la représentation populaire des ours dans le monde entier. 

    Quant aux spécificités de l’adaptation de la culture de l’ours gay en Italie, elles se manifestent dans la référence italienne à des images tirées de la culture cinématographique italienne populaire des années 70, dans laquelle l’homme macho hétérosexuel méditerranéen partage de nombreuses caractéristiques avec celles censées appartenir à l’ours gay (sec Wright 2001 : 260). Cela peut également expliquer la popularité du terme  » ammiratore  » en Italie, une figure qui semble imiter le clivage hétérosexuel : ours gay/hétérosexuel non gay, que l’on retrouve également dans de nombreuses intrigues du site www.orsiitaliani.it.

    La traduction (erronée) de papa ours par  » papa orso  » (père ours au lieu d’ours plus âgé ou plus mûr) montre également l’importance de l’imagerie traditionnelle de la famille dans la sphère italienne.

    Derrière cette domestication des concepts, il y a certainement chez les ours italiens un désir de passer pour des hommes hétérosexuels, un désir qui est le résultat du pouvoir répressif exercé par l’Église contre les hommes gays en général, et qui les pousse à se cacher dans l’anonymat du web.

    Ce climat culturel, ainsi que l’attitude consumériste qui se cache derrière les sites de rencontre gay en général, pourrait expliquer pourquoi le sujet queer bear italien est encore au début de son parcours de négociation entre les transgressions et les positions normatives répressives locales.

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